Le jour de représentation

D’apparences trompeuses.

Elles semblent calmes et pourtant, les journées de représentations sont des journées particulières .
Elles sont, dès le réveil, dédiées à l’évènement du soir.
Je n’aborderai pas aujourd’hui le cas particulier d’une journée de première, avec son lot de trac, d’excitation, d’incertitudes, mais bien celui d’une journée de représentation d’un spectacle qui tourne, avec lequel une certaine familiarité s’est installée.

Chasser toutes inquiétudes pour sa voix dés le matin, c’est la meilleure façon de s’assurer son bon concours pour jouer, chanter le soir venu. Focalises sur ta voix, le soir tu ne l’auras pas.
Depuis que je la laisse tranquille, ma voix me suit avec une belle régularité. Nous nous chauffons en chantant. Sous la douche bien sûr.
Bien sûr que je chante sous l’eau chaude. Je chantonne aussi tout au long de la journée. Je prends souvent des nouvelles de ma voix en lisant tout et n’importe quoi à haute voix.

Le jour de la représentation , il est de bon ton de se remettre le texte en mémoire, en bouche.
Faire une italienne consiste à dérouler le texte. Tout le texte.
J’aime les italiennes dans le train, en voiture, en mini bus . Une bonne italienne vous assure une entrée en confiance dans le spectacle du soir. L’italienne préserve des trous, ravive, chauffe, rassemble et rassure.
A ce propos, je présente mes excuses aux clients d’un Courte Grill ou Buffalo Paille à qui nous avons infligé une italienne de Peau D’âne un soir d’entrecôte frites, en tournée. Si certains ont fini par entrer dans l’aventure, d’autres nous ont haïs. Je peux comprendre.
Ils ont eu l’intégrale. Sans les chansons au départ et puis je ne sais pas, au fil des scènes , certaines interprétations ont été jugées nécessaire. « Je ne savais pas que tu m’aimais….En êtes vous certains désormais… » J’ai souvent vu des visages défaits dans le TGV lorsque certains passagers réalisent qu’ils vont passer leur voyage avec une troupe de comédiens en goguette. Certaines italiennes peuvent cependant passer inaperçues.

La journée de représentation est particulière.
Discrètement je vérifie que tout fonctionne bien.
Cou, poignets, pieds, sourire, cheveux, mémoire. Je ferai plus ou moins consciemment ce check régulièrement au fil de la journée. Je me protége des contrariétés.
Déjeuner léger.
Pendant les représentations, les comédiens n’ont pas le droit de prendre d’ascenseurs (il en faut parfois pour rejoindre loges et plateau). Je les évite toute la journée pour être bien sûr.

L’ Arrivée au théâtre marque le début de tout.
Trouver l’entrée du guignol, la tâche est parfois drôle, nécessitant un portable. Cette fameuse entrée des artistes. Je reste toujours ému de rencontrer une nouvelle salle.
Nous quittons la lumière du jour pour ne ressortir qu’à la nuit, après la représentation.
Premiers regards pour le plateau et la salle. Déambulation et bonjours. Prendre le pouls de la régie, connaître les éventuelles adaptations du spectacle à la salle, savoir où en est le montage , rencontrer l’équipe du lieu, repérer. Trouver la machine à café.

Se placer dans la salle pour connaître le regard du spectateur, goûter l’assise des fauteuils, des bancs, des chaises…
Cou, poignets, pieds, sourire, mémoire…les cheveux c’est bon, je viens de me croiser dans un miroir des loges.
Première strate de concentration, véritable entrée dans le spectacle : la mise en place de sa régie. A savoir, positionner sur le plateau, en coulisses, ses accessoires et costumes nécessaire au spectacle. Repérer les entrées, les sorties, les emplacements de changements rapide. Doubler le dispositif « bouteille d’eau » ou simplement, trouver de l’eau. Toutes ces actions constituent notre routine d’avant spectacle. Chacun, chacune a sa tâche attitrée. Ça roule, ça bosse. J’adore.

En règle générale un filage technique est nécessaire avant toute représentation fin d’accorder la régie (son, lumières et souvent vidéo) et le plateau. S’assurer que tout le monde jouera bien la même partition. Basique.

Ne pas (trop) grignoter, éviter de s’empiffrer d’amandes parce qu’elles sont là, bannir les chips, faire attention au café…le temps file et la représentation est dans…combien temps déjà?
Une heure neuf puisqu’il y a une minute je te l’ai déjà demandé et qu’elle était dans une heure dix. Allez, feu pour un demi Bounty.
Maquillage, costumes. Tout doit être pensé pour qu’aucun contre temps n’influe sur l’heure du lever de rideau.
Les toilettes sont un havre de paix, d’autant plus visitées que le trac est important. Les toilettes sont, avec le maquillage et le temps du costume, un espace de concentration solitaire et silencieux qu’il faut savoir préserver.
Je recommande à ce sujet le visionnage d’une scène mythique, portée par Philippe Noiret , juste avant son entrée en scène, dans » les Grands Ducs « de Patrice Leconte. Ce magnifique moment de cinéma illustre les comportements incertains qu’il est possible de traverser avant une représentation.

Et puis les trois coups.

Rien à faire, meilleure est l’entente pendant la préparation du spectacle, meilleure est la représentation.
Temps suspendu. Temps du spectacle.
Les sensations franches, le texte, les chemins de la mise en scène , le lâcher prise, les lumières, les partenaires … applaudissements à la hauteur de l’échange avec le public.
La salle se vide.
Retours rapides sur la performance entre l’équipe , courts échanges avec ceux qui s’attardent. Nous pourrons discuter à loisir et tranquillement après le démontage.

Le spectacle laisse à nouveau place au murs du théâtre. On cale le camion qui sera bientôt chargé. Les bras portent, déplacent, les mains dévissent, plient, rangent, nettoient…
Où est la malle des chaussures?
Nous plions, c’est plié, ok, on peut aller manger. La pression peut se relâcher. Le camion doit partir.
La route nous attend, il faut dire au revoir.
Fin d’une journée de représentation.